« Je est un autre »
Rimbaud
« Car il lui disait :
— Sors de cet homme, esprit immonde !
Et, il lui demanda :
— Quel est ton nom ?
— Légion est mon nom, lui répondit-il, car nous sommes plusieurs. »
Évangile selon Marc V, 9
Dans la série des autoportraits Moi en : — prenons le cas de Sollers — je dirais que je joue sans jouer son rôle : je joue son image. Un acteur jouerait le rôle, moi je joue l’image. Ce qui compte dans cette démarche, c’est d’opposer l’enflure de mon ego, le moi, à l’enflure de l’ego des images que je critique. C’est donc ego contre ego.
La formulation du titre “ Moi en : Philippe Sollers ” aussi a son importance : dans le « en » réside quelque chose de boiteux, de bancal. S’il était écrit « Moi sous les traits de Sollers », ça pourrait être une pédanterie. Le « en », d’un point de vue phonique, permet d’entendre le « han » de « hi-han »., autrement dit, que je fais l’âne. C’est pourquoi je m’astreins aussi à limiter les moyens techniques que j’utilise — on voit l’artifice, le maquillage. Suivant en cela une posture assez proche de l’individualiste aristocratique au sens où le philosophe Georges Palante a pu en forger l’idée au début du XXe siècle, je dirais que ce travail est une espèce de nietzschéisme de cabaret.
Le fait générateur de chaque portrait est une prise de conscience, visuelle et fugace, de qui je peux éventuellement « être » — c’est visuel — mais, comme dans le conte de Blanche-neige, c’est le miroir qui me voit. En d’autres termes, je suis la sorcière: j’interroge le miroir, je me vois dans la glace, et, l’espace d’un instant, le miroir, lui, me voit traversé par telle ou expression que je retiens, que je note. Ainsi le miroir m’a déjà « vu en » Pierre Boulez, Tom Jones, David Lynch, Duras, Kadhafi, Laurel et Hardy, Angela Merkel... et ce n’est pas fini.