Stéphanie Solinas travaille sur l’identité. Sur la perception de soi, des autres, des autres en soi. Malgré sa jeunesse, elle s’inscrit dans une tradition historique de la photographie, renouant avec les théories scientifiques d’Alphonse Bertillon comme avec les inventions spirites et poétiques d’un Victor Hugo. Photographe, elle est aussi, par sa création singulière, sociologue, anthropologue, psychologue, écrivain. Elle cherche, à travers ses différents projets, à explorer les liens qui unissent les êtres humains. Elle fait preuve d’une variété originale dans le choix de ses œuvres, ne se limitant ni à une seule technique, ni à un seul format. Si la dimension esthétique ne lui est pas étrangère, elle cherche, avant tout, à allier, de manière remarquable, support et esprit créatif. Ses photographies peuvent ainsi être cartes de visites, illustrations de livre, reproductions à grandeur d’œuvres d’art, projections. A la singularité de l’œuvre répond aussi la singularité du dispositif. Stéphanie Solinas n’arrête pas son travail à la seule image ; elle revendique aussi, par le choix de ses installations, la nature matérielle de la photographie, objet autant qu’image.
Ses créations ont, déjà, attiré l’attention louangeuse de la critique, à Arles, à Marseille, en Islande, où elle a travaillé en résidence. Elle est ainsi une des photographes les plus prometteuses d’aujourd’hui. Le musée Eugène-Delacroix est très heureux qu’elle ait accepté notre invitation à l’occasion du Festival Photo Saint-Germain. L’atelier d’Eugène Delacroix, dernier atelier du grand peintre, où il vécut et travailla de 1857 à sa mort, en 1863, est un lieu magique, propice à la création. Stéphanie Solinas y est venue souvent, a observé les œuvres qui y sont présentées, a partagé ce qui fut l’intimité de l’artiste, observant, des larges baies orientées au sud, le petit jardin, secret et fleuri, qu’il aimait temps. Elle y a découvert un Delacroix qu’elle n’attendait peut-être pas, non seulement peintre mais aussi graveur et écrivain. Au-delà de l’artiste, elle s’est intéressée à l’homme. Lisant les lettres que l’artiste adressa, sa vie durant, à ses proches et à ses amis, elle a souhaité dédier son exposition au musée à l’amitié, aux liens qui s’établissent par le biais d’un contact régulier, heureux, fécond, harmonieux. Elle a étendu cette correspondance entre les êtres – Eugène Delacroix, Frédéric Chopin, George Sand – à une correspondance entre les œuvres.
Ses choix, auxquels nous avons souhaité donner autant de liberté que possible, offrent de poser un nouveau regard sur les créations de Delacroix, permettant de les découvrir ou de les redécouvrir. Ils soulignent la vivacité de l’admiration que le peintre du XIXe siècle ne cesse de susciter chez les créateurs. Ils rendent sensibles les circonstances de la création du musée, fondé à la fin des années 1920, plus de soixante ans après la mort de Delacroix, par des artistes qui n’avaient pu le connaître, Maurice Denis, Edouard Vuillard, Paul Signac. Nous nous en réjouissons fort et espérons que cet événement, qui inscrit le musée Eugène-Delacroix à la fois dans son temps et dans son quartier, suscitera l’envie de découvrir ou de redécouvrir ce lieu singulier, charmant, havre de paix au cœur de Paris.
Dominique de Font-Réaulx
Directrice du musée Eugène-Delacroix