On reconnait à s’y méprendre, dans ses images, un sac plastique, la surface luisante d’un mur, une nappe en toile cirée, ici un mouchoir – et comme une variation de celui-ci –, là des graines de sésame fixées sur un plan paradoxalement vertical. Le regardeur est décontenancé par l’identification pauvre de ce qu’il voit. Les images prises pour telles n’informent en rien le regardeur, le lointain y est trop proche : le sac a été là, puis là ; et après ? Eh bien les images que Pierre Seiter produit sont infiniment artificielles, ce sont des documents transcendés, qui partagent les prérogatives du réel. Elles méditent – et on y assiste – leur valeur documentaire, et la retranchent en point de départ, en origine de la perversion. Le document est réduit à un donné qui ne se donne pas, à un mensonge dépisté.
La Photographie de Pierre Seiter rend visible ce qui ne l’est pas autrement, parcourt avec nous l’itinéraire du sujet, c’est-à-dire du regardeur en train d’apprendre à voir : l’image cartographie la vision en se donnant toujours identique à elle-même, donc différante. Si l’image est bien le distinct par essence, préserver l’artifice de l’image, c’est préserver les conditions d’avènement du sujet, du visible aller et retour. L’enjeu ne se résume pas à ruminer la surface, Pierre Seiter décide d’habiter et de vérifier son infinie profondeur, une profondeur incommensurable, inquantifiable, il s’agit d’une surface dont la profondeur est qualitative et s’évalue à quelque chose du tactile qui se prolonge dans la vision. Une photographie comme celle des graines de sésame manifeste cet enjeu en perturbant la notion d’équivalence : à y regarder de plus près, on s’aperçoit que certaines graines sont simplement photographiées pour être tirées à l’échelle, tandis que le papier est parsemé, au moment du tirage, de graines qui percent leur absence dans le format. Ce geste qui ramène tout à un plan, ramène tout au plan ultime : la surface photographique, qui, n’ayant plus qu’à être redéployée à l’infini, se confond dans la surface picturale à la manière d’Un Bar aux Folies Bergères.
Mats Gustau
Né en 1992 à Blois, Pierre Seiter vit et travaille à Paris. Il intègre l’École des Beaux-Arts de Rennes avant de poursuivre ses études à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, dont il est diplômé félicité en 2017.
Pour sa première exposition personnelle, Double single, Pierre Seiter présente une sélection de ses oeuvres récentes.
Avec le soutien du laboratoire photographique Cadre en seine Choi
Galerie du Crous
Dédiée à l’émergence artistique, la Galerie du Crous de Paris donne aux jeunes artistes l’opportunité de se confronter au regard de la critique et du public en accueillant chaque année une vingtaine d’expositions individuelles ou collectives.