L’art d’Ange Leccia s’origine dans une réflexion sur l’image et le matériau filmique. Ses arrangements d’objets et de véhicules, réalisés dans les années 80, étaient déjà informés par le cinéma. Le développement de ses recherches en vidéo, tout au long des années 90 jusqu’à aujourd’hui, procède d’une totale continuité dans sa quête de l’énoncé pudique d’une émotion non verbalisable. Reprenant les motifs de son répertoire, qu’il augmente constamment, il articule les images dans l’espace d’exposition, pour suspendre le temps et construire des situations se régénérant sans cesse.
Si les motifs de la répétition et de la boucle caractérisent les images d’Ange Leccia, il faut comprendre cette régénérescence permanente dans une dimension organique de l’image, qui nous convie à un présent éternel.
Dans la Maison d’Auguste Comte, il propose d’intervenir in situ, en dialogue avec le lieu et les énergies qui l’ont traversé. La pratique de l’arrangement procède pour Ange Leccia d’une véritable entrée en dialogue avec l’esprit des lieux, afin d’effacer les effets négatifs du Denkmalkultus décrit par Aloïs Riegl : un bâtiment chargé d’histoire ne doit pas être figé dans le passé, dans une dimension conservatoire qui le couperait du présent. L’artiste, mieux que quiconque, est en mesure de placer un tel lieu dans un temps actuel, partageable avec ses contemporains. Sa méthode est celle de l’intropathie, à la manière baudelairienne. Par ce procédé poétique de communication avec l’âme des êtres ayant vécu là, il recrée le contact entre leur temporalité et la nôtre.
Les images vidéo qu’il va projeter en différents emplacements de la maison – une salle accueillant une seule image, projetée directement sur le mur, en ménageant des silences qui laisseront certaines salles dans leur aspect actuel, sans intervention de la part de l’artiste, afin d’intensifier chacune des étapes du parcours qu’il créera ainsi – seront des évocations des présences féminines qui ont entouré Auguste Comte, notamment Clotilde de Vaux, son grand amour, mais aussi Sophie Bliaux, sa domestique, la gardienne des lieux, et Caroline Massin, son épouse.
Dans la dernière salle du parcours de l’exposition, la chambre d’Auguste Comte, Ange Leccia rejouera l’une des figures les plus importantes de son répertoire iconographique, en écho à la tenue de gala et au chapeau haut-de-forme du grand homme, conservés et visibles à côté de son lit.
Le visage de La Callas apparaîtra ainsi sur un moniteur Trinitron. Ses images muettes, comme des effractions, véhiculeront les intensités de l’art, porté à son plus haut point par la diva. Photogrammes ralentis, passés par plusieurs générations de recopies, de l’écran télé au Super 8 puis à la vidéo, ces images placent l’émotion fulgurante de la cantatrice sur une crête extrême, en suspension.
Pascal Beausse
En partenariat avec la Galerie Jousse Entreprise.
Maison Auguste Comte
Dernier domicile du philosophe, promoteur de la «philosophie positive» et fondateur du «positivisme», la Maison d’Auguste Comte comprend le musée ainsi qu’un centre de recherche à vocation philosophique.